Dans une interview accordée à BENIN WEB TV, François Akilatan, politiste et expert en analyse stratégique, a exploré les diverses dimensions et impacts sur la coopération régionale, du retrait de l’Alliance des États du Sahel (AES- Mali, Burkina – Niger) de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO).
Le dimanche 28 janvier 2024, le Mali, le Niger et le Burkina Faso, ont annoncé leur retrait « immédiat » de la CEDEAO. Cette décision qui a suscité maintes réactions à travers le monde, va bien au-delà d’une simple divergence politique, selon François Akilatan, politiste et expert en analyse stratégique. Il soutient que cette décision a été motivée par des préoccupations profondes concernant l’ingérence étrangère et le manque de transparence au sein de la CEDEAO.
«Â Alors que certains pourraient attribuer cette décision aux sanctions passées de la CEDEAO, il est important de reconnaître que les effets de ces sanctions ne sont plus d’actualité et que les pays de l’AES ont démontré une certaine résilience à leur égard. D’ailleurs plusieurs études montrent aujourd’hui que les sanctions économiques sont très peu efficaces, puisque la plupart des pays sanctionnés parviennent toujours à contourner les effets de ces sanctions.
Au cÅ“ur de ce retrait se trouvent des préoccupations plus profondes concernant l’ingérence étrangère et le manque de transparence au sein de la CEDEAO. Ces États estiment que l’organisation régionale n’a pas toujours défendu leurs intérêts nationaux, mais a plutôt agi en faveur d’acteurs extérieurs, compromettant ainsi leur souveraineté et leurs préférences nationales. Alors, si le design institutionnel actuel de la CEDEAO, c’est-à-dire, la forme que cette institution a commencé à prendre ou encore la manière dont les États la façonnent aujourd’hui n’arrange pas les pays de l’AES, je pense qu’il est de la responsabilité de ces derniers de se prémunir contre toute influence étrangère préjudiciable à leur souveraineté et à leurs intérêts nationaux. Faire autrement serait consentir à s’aventurer dans des interactions incertaines et risquées, un choix qu’un État sérieux éviterait », a expliqué François Akilatan.
Un sentiment d’«écosepticisme»…
Dans ses analyses, M. Akilatan affirme que le retrait des pays de l’AES, remet en question le principe de libre circulation des biens et des personnes au sein de la région, ce qui entraine de facto, des changements significatifs dans les dynamiques économiques et sociales. « Les citoyens de l’AES devront désormais obtenir des visas pour se rendre dans les pays membres de la CEDEAO, ce qui représente un changement significatif dans les dynamiques régionales. De plus, ce retrait met fin au libre-échange avec les pays de la CEDEAO pour les États de l’AES, ce qui peut avoir des répercussions sur leurs économies respectives et sur les entreprises opérant dans la région. Cependant, ces défis peuvent être surmontés par la négociation d’accords bilatéraux de libre-échange avec les membres de la CEDEAO, offrant ainsi des opportunités de coopération économique plus ciblées. À titre illustratif, il y a plus d’avantages que de risques pour les pays comme le Bénin d’accepter de coopérer avec le Niger concernant l’exportation de l’uranium et du pétrole ».
Pour François Akilatan, le retrait des pays de l’AES, pourrait renforcer un sentiment d’«écosepticisme», une posture qui reflète le doute quant à la viabilité ou à l’utilité de la CEDEAO. «Â On peut comprendre que l’organisation ait cherché à réduire tout risque de déviation de la part de ses États membres, mais elle a malheureusement opté pour des sanctions sévères à l’encontre des pays de l’AES, voire de l’ensemble des populations, alors qu’elle aurait pu, davantage, cibler directement et exclusivement les dirigeants de la junte. Même les Occidentaux, que la CEDEAO semble imiter, ont, pour des raisons d’étique et d’efficacité, abandonné l’utilisation de sanctions qui font peser le fardeau de la punition sur les peuples, en faveur de mesures plus ciblées à l’encontre des personnalités mises en cause. Cette approche a entraîné une perte de crédibilité croissante pour la CEDEAO ».
Cependant, M. Akilatan suggère que la CEDEAO pourrait restaurer sa crédibilité en promouvant la transparence en matière d’ingérence étrangère, non seulement au sein de ses organes de prise de décision, mais aussi dans tous ses États membres. « Cela permettrait de restaurer sa crédibilité tout en renforçant la confiance de ses États membres et la protection contre l’influence étrangère malveillante au sein de la communauté », a-t-il conclu.