Qui va acheter l’uranium du Niger ?
Après des décennies de domination française sur son secteur de l’uranium, le Niger vient de reprendre le contrôle de la Somaïr et bouscule la donne géopolitique mondiale. Face à la fin de l’ère Orano, le pays cherche désormais de nouveaux partenaires pour valoriser sa ressource stratégique, tout en relevant le défi du transfert de compétences et de la souveraineté minière, dans un contexte international sous haute tension.
Abdourahamane Tiani
Le Niger vient de tourner une page de son histoire minière. Avec la nationalisation de la Somaïr, jusque-là pilier de l’exploitation de l’uranium sous domination française via Orano (ex-Areva), Niamey affiche sa volonté de reprendre la main sur ses ressources stratégiques. Ce choix, dicté par les autorités issues de la transition militaire, marque une rupture assumée avec plusieurs décennies de rapports inégalitaires où pendant trop longtemps, plus de 60 % de la production d’uranium nigérienne prenait la direction de la France, au prix d’une souveraineté nationale fragilisée.
Mais la décision du Niger ne clôt pas le contentieux avec Orano, loin de là. Deux procédures d’arbitrage international sont en cours, l’une sur le retrait de la licence d’exploitation du site d’Imouraren, l’autre sur la perte de contrôle d’Orano au sein de la Somaïr. Le tout s’inscrit dans une atmosphère de crise profonde entre Niamey et Paris, depuis le coup d’État de 2023 qui a précipité le départ des troupes françaises et la fermeture des représentations tricolores au Niger.
Cette reconquête de souveraineté pose toutefois une question essentielle. Qui sera le prochain client de l’uranium nigérien ? Malgré des rumeurs persistantes d’accord avec l’Iran – rapidement démenties par les autorités – la donne internationale, marquée par la guerre Israël-Iran et une surveillance américaine renforcée, ferme la porte à tout projet de vente directe à Téhéran.
La Chine, déjà bien implantée dans l’industrie pétrolière et présente dans l’uranium via Sino-U, s’impose comme un partenaire logique. La Russie n’est pas en reste, tout comme le Canada, grâce à Global Atomic qui développe un nouveau projet à Dosso avec le soutien d’investisseurs américains. Certains États européens, soucieux de sécuriser leur approvisionnement hors du giron français, observent également le Niger de près. Enfin, le marché émergent des mini-centrales nucléaires en Asie et au Moyen-Orient ouvre de nouvelles perspectives commerciales.
C’est donc dire que le Niger ne manque pas de débouchés. Le vrai défi sera donc de vendre à un prix juste, tout en bâtissant des partenariats plus équilibrés que par le passé. Longtemps, la tonne d’uranium a été cédée bien en deçà des prix du marché international. Cette anomalie, les nouvelles autorités entendent y mettre fin. Le transfert de compétences constitue également l’autre priorité. Des décennies durant, la maintenance et la gestion technique des mines ont reposé sur des experts étrangers. Aujourd’hui, l’objectif est de former une génération d’ingénieurs et de techniciens nigériens capables de piloter l’ensemble de la filière.
Un environnement géopolitique tendu
Reste que la situation internationale complique la donne. Les États-Unis surveillent étroitement les flux d’uranium, notamment vers les pays jugés sensibles comme l’Iran, tout en encourageant des projets placés sous contrôle occidental. L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), quant à elle, veille à la traçabilité et à la non-prolifération en limitant le risque de détournements. Si la France s’est retirée, l’Union européenne et les grandes puissances mondiales restent attentives à la sécurisation de leur approvisionnement.