Au Bénin, comment le terrorisme a déjoué les plans de Patrice Talon
Il devait être la vitrine du « Bénin révélé ». Un joyau naturel transformé en moteur du tourisme béninois. Mais le parc de la Pendjari, projet emblématique de Patrice Talon, a vu ses promesses s’effondrer sous les balles djihadistes. Comment le terrorisme a transformé un pari présidentiel en revers politique majeur ? Analyse sur un rêve brisé de Patrice Talon au cœur de la savane béninoise.
Parc National de Pendjari au Bénin, dans le nord-ouest de l’Afrique
Dès son premier mandat (2016-2021), le président béninois Patrice Talon a fait de la relance touristique un pilier stratégique de son programme. Figure emblématique de cette vision, la revitalisation du parc national de la Pendjari est érigée en projet-phare de son plan d’investissement « Bénin Révélé » lancé fin 2016. L’objectif affiché est de transformer le Bénin en destination écotouristique de premier plan en Afrique, en misant sur ce joyau naturel transfrontalier de 4 800 km² abritant éléphants, lions, buffles et autres espèces rares.
Pour ce faire, le gouvernement Talon s’est associé en mai 2017 à l’ONG African Parks, spécialiste de la gestion des aires protégées, via un partenariat de 10 ans doté de 26 millions de dollars. L’accord vise à doubler la faune sauvage du parc par une lutte renforcée contre le braconnage, à professionnaliser la gestion du site et à créer des centaines d’emplois locaux grâce au développement de l’écotourisme. Le projet revêt une dimension symbolique forte car il doit non seulement préserver une réserve exceptionnelle – l’une des plus vastes d’Afrique de l’Ouest – mais aussi redorer l’image internationale du Bénin et diversifier son économie locale, dans une région jusque-là enclavée et peu mise en valeur.
Le gouvernement multiplie alors les mesures incitatives pour attirer des visiteurs étrangers, comme la gratuité des visas d’entrée pour de nombreux pays et la création d’agences nationales dédiées au tourisme. La Pendjari devient ainsi le porte-étendard de l’ambition de Talon qui est de faire du Bénin un « pays de tourisme durable » et un moteur de développement régional par la valorisation de son patrimoine naturel.
Du rapt aux attaques armées
Mais cette ambitieuse stratégie va cependant être brutalement mise en échec par la montée du jihadisme venue du Sahel. Dès 2018, des groupes armés liés à Al-Qaïda s’infiltrent discrètement dans le complexe forestier transfrontalier W-Arly-Pendjari (WAP) et utilisent la zone comme sanctuaire et base logistique. Le 1er mai 2019, la menace éclate au grand jour et deux touristes français en safari dans la Pendjari sont enlevés par des assaillants venus du Burkina voisin, et leur guide béninois est assassiné sur le champ. Cet enlèvement spectaculaire – du jamais-vu au Bénin – porte un coup très dur à la vitrine touristique de Talon. Le parc, jusque-là fleuron national, bascule en « zone rouge » sur les radars sécuritaires internationaux, et les visiteurs étrangers désertent aussitôt ce site pourtant réputé pour sa beauté. « Ce fleuron de l’économie nationale, passé en zone rouge, est devenu quasi infréquenté par les touristes étrangers que sa réhabilitation devait drainer » note un rapport, tant l’incident a entaché la réputation du pays. La France organise la libération des otages dix jours plus tard au Burkina Faso, mais l’opération – au prix de la vie de deux militaires français – confirme la présence de terroristes lourdement armés aux portes du Bénin.
Pendant plus de deux ans après ce rapt, les autorités béninoises tentent de sauver la stratégie écotouristique malgré l’ombre du terrorisme. Des mesures de sécurité renforcées sont déployées autour des parcs (patrouilles militaires, postes de contrôle, systèmes d’alerte et géolocalisation des touristes). Le gouvernement entretient l’espoir d’une reprise graduelle de l’activité, rouvrant prudemment le parc aux visiteurs locaux à certaines périodes. Mais ces efforts restent vains car la fréquentation étrangère ne revient pas et le nord du pays demeure boudé des voyageurs, au grand dam des autorités. Surtout, la menace jihadiste continue de se rapprocher. Selon des témoignages, dès 2019-2020 des individus suspects parcourent incognito les zones frontalières – des mouvements bien repérés par la population locale mais largement ignorés au départ par les autorités.
Fin 2021, la situation bascule et le Bénin essuie ses premières attaques terroristes meurtrières. Dans la nuit du 1er au 2 décembre 2021, deux soldats béninois sont tués à Porga (Atacora), près de la Pendjari, lors d’une embuscade attribuée à un groupe affilié à Al-Qaïda. Quelques semaines plus tard, le 8 février 2022, c’est le parc voisin de W qui est frappé alors qu’une équipe de rangers est tombée dans une embuscade jihadiste près de la frontière, bilan six morts (dont cinq écogardes) et une dizaine de blessés graves. L’attaque, spectaculaire, s’accompagne de scènes de chaos avec des animaux sauvages errant hors de la réserve, des touristes évacués en urgence et l’image du Bénin sévèrement ternie à l’étranger. Elle marquera un tournant décisif car désormais, la guerre asymétrique s’étend en territoire béninois, menaçant directement les projets de conservation et de tourisme.